Très lié à la tradition mais porté sur la modernité, tel apparaît le prêt-à-porter de luxe en Turquie. Sous les doigts de son jeune créateur le plus en vue, la burqa devient terriblement tendance…
Il a 34 ans et vit sur le détroit du Bosphore à Istanbul. Erkan Çoruh est le vainqueur de l’ultime édition de Who’s on next, concours de jeunes stylistes de mode organisé par Alta Roma et le magazine Vogue Italia.
Primé meilleur styliste de l’année 2010, il s’est fait remarquer par son goût de l’éclectisme et de la contamination en mêlant les classiques de la haute couture avec des éléments radicaux de sa propre culture. Il se plait notamment à revisiter la burqa ou le turban pour les transformer de façon surprenante en t-shirt ou ornement de tailleurs.
La burqa récupérée par un créateur de mode
Alors qu’un vent d’interdiction du voile intégral souffle en Occident, n’allez pas chercher dans les dernières créations vestimentaires d’Erkan un quelconque goût pour la provocation gratuite. L’habit ne fait pas le moine, la burqa ne fait pas non plus l’intégriste, encore moins la femme victime ! Il faut y voir seulement, selon le créateur, une façon d’unir la haute couture et la tradition musulmane sous un voile d’ironie.
Sa dernière collection qui sera lancée officiellement en septembre 2010 à Milan s’intitule Radical Beauty, en hommage à la plasticienne iranienne Shirin Neshat pour son long métrage « Femmes sans hommes ». Un film où les femmes musulmanes ne sont jamais représentées comme des « victimes », cliché occidental, mais comme des femmes « fortes, dignes, courageuses et mobiles … qu’aucune contrainte ne réussit à intimider ou à réduire au silence ».
L’art de conjuguer éthique et étiquette
L’approche d’Erkan n’aurait pas déplu à Roland Barthes qui déclarait à propos de la mode :
“ C’est une combinatoire, qui a une réserve finie d’éléments et des règles de transformation. L’ensemble des traits de mode est puisé chaque année dans un ensemble de traits qui a ses contraintes et ses règles, comme la grammaire. Ce sont des règles purement formelles. Par exemple, il y a des associations d’éléments de vêtements qui sont permises, d’autres qui sont interdites. »
Il poursuivait : « D’autre part il y a une autre vision de la mode qui consiste à renoncer à ce système d’équivalence et à édifier une fonction proprement abstraite ou poétique. C’est une mode oisive, luxueuse, mais qui a le mérite de se déclarer comme une forme pure…Un exercice métaphysique sur le thème mallarméen du rien, du bibelot, de l’inanité. C’est un vide qui n’est pas absurde, un vide qui est construit comme un sens.”
C’est bien à cette autre vision de la mode que font référence les robes de Erkan Çoruh. Parce qu’elles tissent du sens, juste sur le fil de l’Europe, à la frontière exacte de l’Orient et de l’Occident.