D’après l’interprétation traditionnelle des textes historiques liée à cette époque, l’âge de ‘Âisha lors de son mariage ne fait aucun doute. Il y a même consensus pour certains ulémas à ce sujet comme pour An-Nawawî, Ibn Hajar ou Ibn ‘Abd Al-Barr. Cet avis est construit sur le célèbre témoignage de ‘Âisha au sujet de son propre mariage : « Le Prophète (PSL) m’a épousée alors que j’avais six ans et il a consommé le mariage avec moi quand j’avais neuf ans »[1].
Ce récit est rapporté par pratiquement tous les grands collecteurs de hadith tels qu’Ahmad dans son Musnad, Muslim dans son Sahîh, An-Nassâ’î dans ses Sunan, Ibn Mâdja dans ses Sunan, ou Ad-Dârimî dans des Sunan[2]. Cette tradition est considérée comme authentique chez les experts du hadith. Il y a juste un petit détail auquel il devait trouver une bonne justification. C’est cet autre témoignage de ‘Aisha sur son âge au moment de son mariage : « Le Messager de Dieu (PSL) m’a épousée après la mort de Khadîja alors que j’avais sept ans »[3]. Pour l’ensemble des commentateurs, il s’agit seulement d’une variante de la version précédente. Ainsi, le sens change en fonction du contexte. Parfois, ‘Âisha disait qu’elle allait sur ses sept ans et d’autres fois elle affirmait qu’elle avait encore six ans. Tout rentre donc dans l’ordre pour les défenseurs de cette position.
Après la remise en cause de cet âge par quelques chercheurs contemporains[4] qui évoquent des incohérences avec d’autres textes et des erreurs factuelles, les tenants de la pensée traditionnelle se sont vus obligés de se défendre et de réaffirmer que l’âge de ‘Âisha n’est d’aucune sorte sujette à discussion. De nombreux articles dans les journaux et même des livres furent publiés pour défendre la version considérée comme incontestable. Les réponses à ces critiques sont souvent accompagnées d’invectives et d’une mise en doute de la bonne foi des personnes concernées. Ainsi, ces auteurs affirment haut et fort que remettre en cause l’âge de ‘Âisha lors de son mariage est un moyen insidieux pour rejeter l’ensemble de la tradition prophétique. Suivant cette logique, dès lors qu’un hadith est authentifié au niveau de sa chaîne de transmission, il n’est pas permis de douter de son contenu[5]. Quel que soit ce contenu !
Nous faisons donc face à une idéologie qui se sent menacée par la critique. Les partisans de ce courant brandissent les textes qui alimentent leur point de vue chaque fois qu’une réflexion est émise qui ne va pas dans le sens auquel ils sont habitués. Quand nous lisons leur publication, nous remarquons qu’il y a un profond malaise chez les tenants de cette pensée. Nous avons l’impression que la religion musulmane est sur le point de s’effondrer quand nous exposons des observations et des analyses qui ne s’inscrivent pas dans le cadre qu’ils ont tracé. Notre but ici n’est pas de faire le point sur cette façon de concevoir la religion, mais seulement d’attirer l’attention sur ces réactions épidermiques qui empêche l’instauration d’un débat serein au sein de notre communauté sur ses principes, son mode de fonctionnement et ses projets d’avenir.
Après cet interlude, revenons à l’âge de ‘Âisha si vous voulez bien. Avait-elle vraiment six ans quand le Prophète (PSL) l’a demandé en mariage ? Nous allons nous efforcer à être méthodologique dans notre approche afin de traiter ce sujet dans ses moindres détails. Pour y arriver, nous allons nous concentrer sur trois principes essentiels.
Premièrement le Prophète (PSL) est l’homme qui a le mieux incarné les commandements du Coran. Il est notre modèle et l’exemple à suivre : « Vous avez dans le Messager de Dieu un excellent modèle » (Les Coalisés – 21). Ainsi, quand le Coran établit un principe, le premier à le mettre en œuvre est le Prophète (PSL). Ce fondement est le plus important par rapport à tous les autres éléments qui vont suivre et qui ne serviront que de pièces à conviction.
Deuxièmement, la tradition prophétique doit être en parfaite cohérence avec la parole de Dieu. C’est un principe qui sonne comme un pléonasme, mais comme nous le verrons ce n’est pas une évidence pour tout le monde, surtout pas pour la classe savante ou du moins qui aime se qualifier comme telle. De ce fait, toute tradition qui remonte au Prophète (PSL) qui contredit le Coran doit être écartée sans la moindre gêne. Le musulman est un être rationnel qui doit vivre sa religion en parfaite cohérence avec lui-même. Dès lors que nous commençons à tout justifier, notre foi perd toute sa crédibilité.
Troisièmement, la tradition prophétique fut véhiculée principalement par voie orale contrairement au Coran qui fut mis par écrit dès l’époque de la révélation. Les erreurs factuelles et les imprécisions sont légion. Sur les 600 000[6] traditions qu’il connaissait, Al-Bukhârî n’en a retenu que 7 563, soit moins de 1.3% ! Même sur ces traditions retenues, il y en a qui sont farfelues. De nombreux spécialistes ont relevé des erreurs dans ces textes[7]. Quand nous déclarons qu’un hadith est faux de manière argumentée, cela ne porte en rien atteinte à la religion ; fut-ce du recueil le plus prestigieux ! C’est une exigence intellectuelle que de procéder ainsi. Le Prophète (PSL) ne peut donc pas tenir des propos contradictoires sur un même sujet.
Après cette clarification méthodologique, nous allons exposer le contexte général dans lequel s’inscrit ce mariage. Après la mort de Khadîja qui fut son unique épouse près de 25 ans, le Prophète (PSL) reçut la visite de Khawla bint Hakîm – l’épouse de ‘Uthmân b. Madh’ûn – qui lui demanda s’il désirait se marier. Puis, elle lui proposa deux femmes, l’une d’entre elles était veuve, Sawda en l’occurrence et l’autre était vierge. Cette dernière est bien entendu ‘Âisha.
C’est donc Khawla qui va servir d’intermédiaire dans ces demandes en mariage. Quand elle se rendit chez Umm Rûmân, celle-ci requerra un temps de réflexion, car Abû Bakr avait donné son accord de principe pour marier ‘Âisha au fils de Mut‘im b. ‘Uday qui était polythéiste. Abû Bakr rencontra Mut‘im et lui fit savoir s’il était toujours intéressé par ce mariage. Mut‘im montra de la réticence, car il avait peur que ‘Âisha finisse par retourner la tête à son fils et le pousse à devenir musulman. Après s’être libéré de cette parole donné à Mut‘im, Abû Bakr accepta avec grande joie la demande du Prophète (PSL)[8].
Nous allons nous appesantir quelque peu sur ce récit. ‘Âisha était déjà demandé en mariage par un polythéiste avant que le Prophète (PSL) ne le fasse. De plus, Abû Bakr avait donné son accord de principe pour entériner cette demande. Cependant, quel âge avait ‘Âisha quand elle fut demandée en mariage au fils de Mut‘im ? Pour ne pas heurter les âmes sensibles – qui le sont déjà à juste titre – nous dirons que cette première demande fut récente et qu’elle se situe chronologiquement juste avant celle du Prophète (PSL). Or quand le Prophète (PSL) accepte la proposition de Khawla, nous sommes au minimum en l’an dix ou onze après la révélation. Si ‘Âisha avait vraiment six ans, cela signifie qu’elle naquit en l’an cinq ou six de la révélation[9]. Est-il raisonnable qu’Abû Bakr accepte de marier sa fille qui était encore un bambin à un polythéiste dans un environnement hostile à cette nouvelle foi ? Avait-il oublié toutes les persécutions et les massacres dont les croyants ont fait l’objet ? Il aurait été plus affectueux de sa part de la jeter aux loups que de laisser sa fille grandir au sein de cette horde de dégénérés gouvernés par l’esprit de l’obscurantisme de la jâhiliyya[10].
Abû Bakr est un homme raisonné et raisonnable, la trajectoire de sa vie le démontre aisément. Il n’est donc pas juste de prêter à Abû Bakr une si grave décision que le musulman lambda n’accepterait nullement pour sa fille ! Abû Bakr est donc innocent de cette accusation mensongère, que certains rapporteurs lui attribuent sans la moindre gêne. De surcroît, de quoi avait vraiment peur Mut‘im pour son fils de cette fillette de six ans ? Face à tant d’incohérences, nous sommes contraints de conclure qu’il s’agit là d’un récit qui n’a ni queue ni tête.
Nous sommes donc obligés de revenir à la source mère pour statuer sur l’âge de ‘Âisha lors de son mariage. Bien entendu, cette source n’est autre que le Coran. Que dit le Coran sur la question du mariage ? Dieu aborde la question des orphelins dont nous avons la charge de la façon suivante : « Éprouvez la capacité des orphelins jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de se marier. Si vous les reconnaissez capables de se diriger convenablement, remettez-leur les biens qui leur appartiennent » (Les Femmes – 6). Le Coran détermine bien un âge pour le mariage et celui-ci est défini par l’âge de raison qui renvoie à l’autonomie et à la capacité de répondre devant la loi de ses actions. Il n’est donc pas permis suivant ce verset de marier un enfant. L’âge exact n’est pas mentionné, car les cultures, les mentalités et les us et coutumes ne sont pas tous les mêmes d’une époque à une autre et d’une zone géographique à une autre. Cependant, l’élément le plus important est mis en lumière, à savoir atteindre l’âge de raison pour ne plus être sous tutelle. En somme, être en mesure d’assumer pleinement les conséquences de ses actions en disposant de toutes ses facultés cognitives.
À cela s’ajoute un point fondamental au sujet du mariage. Le Coran considère que cette relation est conclue à partir d’un pacte décisif : « Si vous voulez prendre une épouse à la place d’une autre alors que vous avez déjà donné à celle-ci jusqu’à un quintal d’or, ne reprenez rien de cette dote. Voudriez-vous en reprendre par voie de calomnie, en infligeant un préjudice évident ? Comment en reprendriez-vous, alors que vous vous êtes donné l’un à l’autre et que vos femmes ont reçu de vous un engagement solennel ? » (Les Femmes – 20-21).
Un engagement n’a de sens que lorsqu’il est établi entre deux personnes qui ont conscience de sa nature et de ses conséquences. Quel engagement prendre alors avec une fillette de six ans ? Ce verset exclut de manière ferme et définitive le mariage des enfants, car il ne répond pas aux exigences de ce qu’implique le pacte du mariage. Étant donné que le Prophète (PSL) est la meilleure incarnation du Coran, il est par conséquent celui qui a le mieux appliqué ce principe. De ce fait, nous pouvons conclure en toute tranquillité que le Prophète (PSL) ne s’est absolument pas marié avec une fille de six ans.
Il nous reste une objection importante à laquelle nous n’avons pas encore répondu. Il s’agit du verset suivant : « Pour celles de vos femmes qui n’espèrent plus la menstruation, si vous avez quelque doute à ce sujet, le délai d’attente sera de trois mois, et il en sera de même pour celles qui n’ont pas encore leurs menstrues. Pour les femmes enceintes, leur terme sera atteint lorsqu’elles déposeront leur charge. Qui craint Dieu, Il lui facilite son affaire» (Le Divorce – 4). D’ailleurs, Al-Bukhârî s’appuie sur ce verset pour citer sa narration au sujet de l’âge de ‘Âisha. Pour les défenseurs de cette position, ce verset est aussi clair que l’eau roche au sujet du mariage des fillettes, car elles n’ont pas encore de menstrues. Puisque le verset parle de leur divorce, alors il est totalement rationnel de dire qu’elles étaient déjà mariées. Suivant cet avis, il s’agit là d’un argument décisif qui annihile tout ce qui a été dit ci-dessus.
Nous conseillons à ces braves personnes de reprendre leur souffle et de lire attentivement notre réponse. Le Coran forme une unité cohérente où aucune partie ne vient contredire une autre. Force est de constater que défendre une telle position nous oblige à revenir sur les versets précités et déclarer qu’ils ne sont pas opérationnels dans ce cas de figure. Ainsi, on admet que le Coran établit des principes à géométrie variable. Une telle lecture du Coran est désastreuse, car elle met un grand coup de massue à l’architecture parfaite de ce texte divin. De plus, cette lecture a des conséquences catastrophiques dans certaines sociétés musulmanes où le mariage des enfants est permis en se basant sur cette interprétation. Que penser de ces vieillards au bord de la mort qui se marient avec des fillettes pré-pubères sous prétexte que le Coran autorise une telle relation ? Justifier une telle abomination ne peut être que l’œuvre du diable !
Alors, comment comprendre ce verset en le remettant dans l’harmonie générale du Coran ? En prenant le temps de la réflexion, nous arrivons à une compréhension d’une simplicité enfantine : le verset parle bien des femmes qui n’ont pas encore leurs menstrues. Nul n’est en mesure de nier qu’il existe chez les femmes – dans des proportions assez faibles – des cas où elles n’ont pas du tout de menstrues ou elles se déclenchent assez tardivement. Il suffit de vérifier cela auprès du corps médical pour en avoir le cœur net. Les causes provoquant ce retard sont diverses, elles peuvent être physiques ou psychologiques. Bref, il n’y a pas de contradiction entre ce verset et ceux que nous avons cités précédemment. En effet, une femme adulte peut se marier sans avoir eu auparavant de cycle menstruel. Ainsi, nous retrouvons la cohérence coranique qui constitue sa marque distinctive.
Notre source principale qui est incontestable ne valide pas cet âge de mariage. Toutefois, la question reste entière, quel âge avait donc ‘Âisha au moment de son mariage ? Ce dont nous sommes certains c’est qu’il s’agit d’un âge où elle était consciente de ce que signifie le mariage. Nous passerons en revue un ensemble d’évènements historiques liés à cette période.
Nous ne voudrions pas nous attarder sur cette narration attribuée à ‘Âisha dans laquelle elle évoque la demande en mariage à l’âge de six ans. Cependant, d’aucuns pensent que la chaine de transmission peut poser problème, car elle est reliée à un certain Hishâm b. ‘Urwa dont les narrations sont mises en doute depuis son installation en Irak. L’imam Mâlik doutait de ses narrations[11]. Les défenseurs de la version traditionnelle répondent que Hishâm n’est non seulement pas le l’unique rapporteur de récit, car il est soutenu par une autre chaîne de transmission authentique qui affirme exactement la même chose, mais en plus Hishâm est un rapporteur fiable même chez les Irakiens. Ainsi le hadith remonte bien à ‘Âisha et ne pose aucun problème d’authenticité. Comme nous l’avons signalé déjà ci-dessus, la seule chose qu’on vérifie chez les savants du hadith est la chaîne de transmission et très rarement le contenu.
L’unique argument auquel se rattachent les partisans de cet avis est ce témoignage attribué à ‘Âisha. Nous insistons bien sur le terme attribuer car ‘Âisha n’a laissé aucune preuve matérielle qui confirme ce propos. Bien au contraire, nous disposons d’une somme importante d’informations qui vont à l’encontre de ce récit.
1. La révélation du verset 46 de sourate La Lune (Al-Qamar 54)
D’après ‘Âisha : « Il fut révélé à Muhammad (PSL) alors qu’il était à La Mecque {Assurément, l’Heure sera celle de leur rendez-vous, Heure très douloureuse et amère}, j’étais encore une jeune fille (jâriya) qui jouait »[12]. Au moment de cette révélation, ‘Âisha était consciente que le Prophète recevait la visite de l’Ange Gabriel qui lui transmettait les versets du Coran. De plus, elle nous informe que sa motricité lui permettait de jouer, c’était donc une jeune fille active. La question cruciale est la suivante : quand cette sourate fut-elle révélée ?
Laissons ‘Umar b. Al-Khattâb répondre : « Quand fut révélé le verset {Leur groupe sera défait} je me suis mis à dire de quel groupe s’agit-il ? Je n’ai alors compris le sens du verset que le jour de Badr où le Prophète (PSL) ne cessait de répéter : {Leur groupe sera défait et ils fuiront} » [13]. Le verset dont parle ‘’Umar est le 45ème de sourate La Lune, il précède celui cité par ‘Âisha. De quand date alors la conversion de ‘’Umar ? La plupart des sources s’accordent à dire qu’il se rendit auprès du Prophète (PSL) en l’an 6 de la révélation pour embrasser l’islam [14].
Ainsi, en l’an 6 de la révélation, ‘Âisha était en mesure de comprendre que le Coran est la parole de Dieu. Or, suivant la version traditionnelle, ‘Âisha vit le jour entre l’an 5 et l’an 6 de la révélation, c’est-à-dire qu’elle avait au maximum 1 an au moment de la révélation de ce verset. L’honnêteté intellectuelle nous commande de conclure à une incohérence entre ces récits et ceux qui parlent de son âge lors de son mariage. La problématique est de taille si nous procédons à l’exclusion des récits qui mettent en doute son âge au moment du mariage puisque tous les récits que nous avons présentés sont authentiques au niveau de leurs chaînes de transmission. De même, si nous rejetons les récits au sujet de la révélation de sourate La Lune nous ne pouvons le faire que sur une base arbitraire. Nous devons donc trouver un arbitrage neutre pour vérifier lequel des deux récits tient la route.
En nous référant au Coran, nous avons relevé que la version du mariage à l’âge de 6 ans est une erreur factuelle. De ce fait, les récits sur la révélation de sourate La Lune sont plus cohérents. En effet, si nous partons de l’idée que ‘Âisha était en mesure de distinguer les paroles du Coran de la parole humaine cela signifie qu’elle devait avoir aux alentours de 10 ans. Suivant cette hypothèse, ‘Âisha avait environ 14 ans quand elle fut demandée en mariage et 17 ans quand elle s’est mariée.
Nous disons qu’il s’agit là seulement d’une hypothèse. Comme toute hypothèse, il faut qu’elle soit vérifiée par une démonstration convaincante. Ce qui est rassurant, c’est que le Coran soutient en tout point cette hypothèse. De plus, nul être doué de raison ne peut contester à une femme de 17 ans de prendre la décision de se marier.
2. L’âge de sa sœur Asma
Asma est la grande sœur de ‘Âisha ; elles ont grandi ensemble et elles étaient très proches[15]. D’après de nombreuses sources, Asmâ avait 10 ans de plus que sa sœur ‘Âisha[16]. Les mêmes sources confirment qu’Asma avait 27 ans au moment de l’hégire[17]. Si ‘Âisha avait 10 ans de moins, cela signifie qu’au même moment elle avait 17 ans. Comme elle allait se marier un an plus tard, cela nous ramène à notre hypothèse, c’est-à-dire 18 ans. De plus, tout le monde s’accorde qu’Asmâ est morte à l’âge de 100 ans en l’an 73 de l’hégire après l’exécution abjecte de son fils ‘’Abdullâh par le sanguinaire Al-Hajjâj. Ce calcul confirme bien qu’elle avait 27 ans au moment de l’immigration. Asma avait donc 14 ans au début de la révélation et ‘Âisha en avait 4. De plus, d’après At-Tabarî, l’ensemble des enfants d’Abû Bakr – y compris ‘Âisha – naquirent durant la période antéislamique (al-jâhiliyya)[18]. Il s’agit là du deuxième élément qui vient renforcer notre thèse.
3. L’immigration en Abyssinie
D’après une narration authentifiée par Al-Bukhârî qui remonte à ‘Âisha et dans laquelle elle nous confie qu’elle a toujours connu ses parents musulmans. Ensuite, elle ajoute que le Prophète (PSL) venait les voir très souvent puis quand fut déclenché la grande persécution contre les croyants par les polythéistes, Abû Bakr prit la décision de partir en Abyssinie. Toutefois, il fut retenu par un chef de tribu qui lui accorda l’asile[19].
Quand est-ce qu’eut lieu l’immigration vers l’Abyssinie ? Suivant la majorité des historiens et des chroniqueurs cet évènement se déroula en l’an 5 après la révélation [20]. Suivant la version classique de l’âge de ‘Âisha, elle avait à ce moment-là environ 1 an. Un nourrisson qui se souvient de ces évènements doit être sacrément précoce ! Naturellement, cette option n’est pas recevable. En revanche, si nous partons de notre hypothèse de travail, ‘Âisha avait environ 9 ans. Un enfant de 9 ans est largement en mesure de se souvenir de ces péripéties. Il s’agit du troisième élément qui vient conforter notre thèse.
4. La proposition de Khawla
Nous avons déjà évoqué l’initiative prise par Khawla en faveur Prophète (PSL) juste après la mort de Khadîja[21]. Elle lui proposa deux femmes en mariage, une veuve (Sawda) et une vierge (‘Âisha). Est-il raisonnable de penser que cette femme honorable conseille au Prophète (PSL) de prendre pour épouse une fillette de 5 ans ? Naturellement non. Cette proposition n’a de sens que si ‘Âisha est une femme en âge de se marier. Il s’agit là du quatrième élément qui vient renforcer notre point de vue.
5. Le consentement dans le mariage
Le mariage dans la religion musulmane est un contrat conclu entre deux parties qui connaissent parfaitement leurs droits et leurs devoirs. Or les récits sur l’âge de ‘Âisha au moment de son mariage sont en contradiction totale avec ce principe fondamental. En effet, le récit d’Al-Bukhârî parle de cette scène étrange où ‘Âisha est assise sur une balançoire et soudain sa mère lui hurle dessus pour qu’elle s’habille correctement afin de se présenter au Prophète (PSL). Cette information contredit en tout point le hadith dans lequel le Prophète (PSL) demande que l’on consulte l’avis de la femme demandée en mariage, qu’elle soit veuve ou vierge[22]. Il s’agit là du cinquième élément qui vient renforcer notre point de vue.
6. La vision en songe
Al-Bukhârî rapporte dans son recueil authentique cette information intéressante dans laquelle le Prophète (PSL) déclare avoir vu en songe deux fois le visage de ‘Âisha couvert par une étoffe de soie. Chaque fois qu’il découvrait ce visage, un ange lui confiait qu’il s’agissait bien de son épouse. À la fin du récit, le Prophète (PSL) conclut : « Si Dieu le veut bien, Il accomplira ce projet »[23]. Le Coran qualifie le Prophète (PSL) d’homme à la moralité indépassable[24]. De ce fait, un homme au caractère aussi noble ne peut se permettre de s’engager dans une relation conjugale avec un enfant de 6 ans. C’est le sixième élément qui consolide notre approche.
7. La bataille de Badr et d’Uhud
Nous finirons par cette septième preuve notre démonstration. Muslim rapporte un récit dans lequel ‘Âisha confie qu’elle était présente auprès du Prophète (PSL) sur le chemin menant à Badr où il allait affronter l’armée des polythéistes[25]. Un autre témoignage affirme qu’elle était présente à la bataille d’Uhud où elle était dans le groupe de femmes qui ravitaillaient en eau l’armée musulmane en portant des jarres sur leurs dos[26]. Cependant, le Prophète (PSL) refusa d’accepter au sein de son effectif de combattants des adolescents qui avaient atteint l’âge de 14 ans comme Ibn ‘Umar[27].
Est-ce cohérent de refuser des adolescents de 14 ans parce qu’ils étaient trop jeunes et accepter que son épouse coure un tel risque, elle qui avait suivant la version traditionnelle 11 ans ? Évidemment non ! De surcroît, nous disposons d’un témoignage d’un compagnon portant le nom de Bashîr b. ‘Aqraba qui déclare que le Prophète (PSL) le rassura quand il perdit son père lors de la bataille d’Uhud en lui disant : « N’aimerais-tu pas que je sois désormais ton père et ‘Âisha ta mère ? »[28]. Si ‘Âisha avait 11 ans comment peut-elle être une source de réconfort pour cet enfant qui devait avoir le même âge qu’elle ? En revanche, si nous partons de l’idée que ‘Âisha avait environ 18 ans lors de son mariage, cela paraît bien plus rationnel.
En prenant en considération l’ensemble des éléments que nous venons d’énumérer, nous pouvons conclure que l’âge attribué par la tradition à ‘Âisha relève d’une grave faute de transmission. Il est fort probable que le rapporteur ait oublié de rajouter 10 ans à l’âge mentionné par l’intéressée. Ainsi, pour retrouver la cohérence générale de tous les récits, nous nous retrouvons dans le devoir de dire que ‘Âisha a relaté qu’elle s’était fiancée à l’âge de 16 ans et non de 6 ans puis elle s’est mariée à l’âge de 19 ans et non de 9 ans. De cette manière, nous effaçons de l’histoire une erreur monumentale qui a justifié des avis juridiques ignobles comme le fait de marier un enfant encore dans son berceau [29] ! La loi qui respecte strictement les principes de l’islam n’a absolument rien à voir avec une telle dérive.
Le mariage du Prophète (PSL) ne pose donc aucun problème d’ordre éthique puisqu’il a été conclu entre deux adultes parfaitement consentents et dans des conditions très claires. Ce mariage eut lieu en l’an 2 de l’hégire durant le mois de shawwâl juste après la fameuse victoire à Badr. ‘Âisha avait déjà une coépouse qui était Sawda dont nous avons parlé ci-dessus. Sawda avait environ le même âge que le Prophète (PSL) qui se situait aux alentours de 50 ans. Comme nous le verrons plus loin, ‘Âisha a développé une très grande complicité avec celle-ci.