« Accident » ou bébé voulu, la maternité précoce dérange et inquiète. Surtout quand elle est revendiquée. Mais que cache cette envie de bébé à l’âge où les copines passent le brevet des collèges ou le bac ?

Chaque année, en France, environ 4500 adolescentes, dont 500 de moins de 16 ans, mènent une grossesse à terme.  Faut-il craindre une mode des « Teen Moms », venue des Etats-Unis ? Quel rôle jouent (ou pas) les parents ? Témoignages de ces ados qui brûlent les étapes et des professionnels qui les côtoient.

Maternité précoce : le modèle anglo-saxon ?

Lindsay, 15 ans, est une jolie brunette à la frimousse ronde. Elle était en 3e quand elle a commencé à sortir avec Steeven. « Un mois après, j’étais enceinte. Un accident : c’était ma première fois, et on n’a pas pensé à prendre des préservatifs… Comme on était amoureux, on a décidé de garder le bébé, après avoir pesé le pour et le contre. » Furieuse en apprenant la nouvelle – par SMS… –, sa mère, Sandra, a épuisé tous les arguments pour la convaincre d’avorter. En vain. Lindsay a donc accouché d’une petite Inès, le 23 juillet 2011. Aujourd’hui, le couple ado et leur bébé habitent chez Sandra, jeune grand-mère résignée de 38 ans. « Mais c’est nous qui nous occupons d’Inès », précise fièrement Lindsay, qui redouble sa 3e par correspondance.

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Chaque année, en France, 18 000 jeunes filles à peine sorties de l’enfance tombent enceintes, malgré des années de campagnes pour le préservatif. Environ 4 500 d’entre elles mènent leur grossesse à terme, dont 500 sont âgées de moins de 16 ans. Elles étaient 10 000 il y a trente ans. En Grande-Bretagne, les chiffres sont quatre fois plus élevés. Et dix fois plus aux États-Unis, où la maternité précoce est « à la mode », sous l’influence de reality shows qui cartonnent sur MTV, comme « 16 and pregnant » (16 ans et enceinte) ou « Teen Moms » (mamans ados). Quoi qu’il en soit, cette « épidémie » de mamans mineures outre-Atlantique inquiète les professionnels comme Florence Francillon, sage-femme et vice-présidente de Gynécologie Sans Frontières, qui a organisé un colloque sur les maternités adolescentes au Sénat en mars 2011, « car les tendances anglo-saxonnes finissent toujours par arriver en France ».

Comme là-bas, les mamans ados qui transitent par un foyer (une dizaine ouverts en France) ont souvent connu abandon, violence, viol, inceste… Ou rejet des parents, pour qui la sexualité des filles avant et hors mariage est synonyme de déshonneur pour toute la famille. Quant aux autres, celles qui vivent leur grossesse en famille, elles appartiennent à tous les milieux. Certaines des mères ados que nous avons rencontrées ressemblent à Clem, jeune maman de Valentin et héroïne de la série à succès éponyme, qui revient au premier trimestre 2012 sur TF1. Les mères précoces ont aussi un air de famille avec les lycéennes du film « 17 filles », de Delphine et Muriel Coulin. L’histoire s’inspire d’un fait divers de 2008 dans le Massachusetts transposé à Lorient* : une bande de gamines qui s’ennuient ferme prennent ensemble la décision, incompréhensible aux yeux des adultes, de tomber enceintes en même temps.

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Maternité précoce : accéder au statut de mère de famille

Sur leurs blogs et sur Facebook, où elles se soutiennent contre un monde adulte qui les stigmatise, les mamans ados se justifient en rappelant que, du temps de leurs grands-mères, les filles enfantaient beaucoup plus jeunes. Elles invoquent aussi les faits divers : « On n’est peut-être pas majeures, mais nous, on n’a pas mis nos bébés au congélo ! » Certes. Reste que les véritables motivations de ces mamans hors norme sont délicates à analyser : tester sa capacité à enfanter, voire mettre son corps en danger comme d’autres s’automutilent ou font une tentative de suicide… Accéder plus vite au statut d’adulte, garder son petit copain et vivre en couple avec lui… Autant d’ados, autant d’histoires.

Clémentine, en CAP de coiffure à Montargis (Loiret) et mère d’un petit garçon de 18 mois, Kylian, avait « besoin d’amour » : « Petite, je jalousais déjà les femmes enceintes. Cette envie de leur ressembler est devenue plus forte avec le divorce de mes parents. Je me disais qu’un enfant ne me quitterait jamais. » S’il n’existe pas de profil type, certaines mamans ados ont tout de même des points communs… « On sent souvent un besoin de réparation, constate Magali Joannelle, psychologue au centre maternel Clairefontaine de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Se sentant rejetées partout, par l’école comme par leur famille, ces ados pensent acquérir un statut dans la société : mère de famille ! » Parfois, elles ont fait « de petites bêtises » : chaparder dans les magasins, récolter colle sur colle pour indiscipline… « C’est comme si elles pensaient que leur maternité allait effacer le passé : “Je ne suis pas juste une petite c… qui va avorter à 15 ans. Je vais donner la vie !”

Les grossesses précoces ne s’expliquent pas simplement par un manque d’information

Presqu’à chaque fois qu’une élève a mené une grossesse jusqu’au bout, il y a eu une ou deux IVG les mois précédents. « Ce qui montre que le désir d’enfant est bien là, et que les grossesses précoces ne s’expliquent pas simplement par un manque d’information », remarque Valérie. Chaque année, cette infirmière scolaire en Seine-Saint-Denis est confrontée à une quinzaine de grossesses, dont deux à trois vont jusqu’au terme. « La plupart des filles idéalisent leur future vie de jeune maman. Pas question de les juger, de les traiter d’irresponsables et d’inconscientes, mais de leur ouvrir les yeux avec tact. Je leur dis : “Est-ce que tu te rends compte qu’un enfant, c’est pour la vie ? Ton copain est-il prêt à jouer son rôle de père ? Les futurs grands-parents sont-ils prêts à vous soutenir, même financièrement ?”.

Maternité précoce : un jeu de miroirs

Au fil des confidences, Valérie constate que les adolescentes enceintes ont souvent une mère qui a eu un bébé récemment (parfois dans une famille recomposée). « Les filles cherchent à attirer l’attention sur elles. » Et quand la mère se formalise peu de l’âge de sa fille pour enfanter, c’est parce que l’histoire familiale se répète. Sous le même toit, il y a deux mamans solos : la mère et la fille…

Autre point commun, la maternité précoce arrive souvent au moment où les parents sont en crise, au chômage ou en plein divorce, pointe de son côté Jacques Michel, psychologue au centre Anjorrant à Nantes, qui accueille des mamans de 12 à 21 ans : « C’est à ces âges que leurs filles cherchent des repères, ne les trouvent pas et passent à l’acte en faisant un enfant. C’est une espèce de jeu de miroir : à la crise des uns répond la détresse des autres. »

Mais quelles que soient les motivations, le désir d’enfant peut expliquer des « accidents » de contraception, comme chez Aurore, de Toulouse, qui redouble sa 1re : »Je sortais avec mon copain depuis un an, et on parlait d’avoir un bébé, mais il changeait d’avis sans arrêt. Du coup, je “jouais” avec ma pilule. » Aujourd’hui, Aurore élève – seule – un petit Younès de 7 mois.

Quand la conseillère conjugale du planning m’a dit que personne ne pouvait me forcer à avorter, j’ai décidé de le garder

Ce désir précoce d’enfant peut aussi surgir devant l’échographie de datation de la grossesse. « Je prenais bien ma pilule. Je fais donc partie du 1 % d’échecs. Quand j’ai vu mon bébé sur l’écran, ça m’a chamboulée, confie Marine, de Bordeaux, alors en terminale STT, et qui élève Mattéo, 19 mois, avec le papa. Ce bébé, c’était le symbole de notre amour. Quand la conseillère conjugale du planning m’a dit que personne ne pouvait me forcer à avorter, j’ai décidé de le garder. » Contre l’avis de sa famille.

Une réaction classique : quel que soit le milieu, les grossesses adolescentes anéantissent la plupart des parents. « Ces jeunes filles heurtent notre rationalité, qui veut qu’on fasse un premier enfant vers 29 ans, après avoir fini ses études, obtenu son diplôme, commencé à travailler et trouvé un compagnon stable, analyse Jacques Michel. Cette grossesse est ressentie comme l’échec éducatif des parents. » Insoutenable aussi d’imaginer sa fille hurlant de douleur, les pieds dans les étriers, à l’âge où les autres révisent pour le brevet.

Maternité précoce : les jeunes papas pas toujours là

Quand l’enfant paraît… la plupart des jeunes grands-parents s’adoucissent (pas tous !), les mères surtout, pas mécontentes pour certaines de pouponner à nouveau. Parfois même un peu trop : « Ma mère qui se trouvait trop jeune pour être grand-mère, raconte Elodie, 15 ans, maman de Dylan, 3 mois, me pique carrément mon rôle : “Qu’est-ce que tu attends pour lui donner son bain ? Regarde, son nez coule… Il tousse ! La bronchiolite, ça te dit quelque chose ?” Je sais qu’elle croit bien faire, mais j’ai parfois l’impression d’être la grande sœur de mon fils. » Une confusion des rôles issue de la cohabitation fréquente avec la grand-mère, faute de ressources suffisantes pour être indépendante.

Du jour au lendemain, nous n’étions plus invités nulle part. Nos copains doivent penser qu’on est vieux avant l’âge

Le corps d’une ado est-il assez « fini » pour donner la vie ? Sur le plan strictement médical, la plupart des experts estiment que ces grossesses ne posent pas de problèmes particuliers, à condition qu’elles soient bien suivies, et accompagnées sur le plan psycho-social. Certes, plus la mineure est jeune, plus l’accouchement peut s’avérer problématique. « Ma petite crevette ne grossissait plus parce qu’elle n’avait pas suffisamment de place dans mon utérus, raconte Lindsay. Le travail a été déclenché par les médecins et a duré quarante-cinq heures, et j’ai énormément souffert avant que la péridurale fasse effet. »

enceinte après 40 ans

Devant ces maternités précoces et revendiquées, les personnels de santé s’érigent parfois en juges : « A l’hôpital, des infirmières m’ont dit que c’était scandaleux de vouloir garder mon bébé comme à l’époque où l’avortement était interdit. Sans m’écouter, elles m’ont proposé de faire une IVG en Grande-Bretagne ou bien d’accoucher sous X. Une gynéco m’a accusée de faire un enfant pour jouer à la poupée. » La réflexion qui revient le plus souvent ? « Vous devriez avoir honte ! résume Clémentine. Quand je suis allée acheter des meubles pour la chambre de Kylian, voyant ma mère sortir sa carte bleue, une vendeuse m’a fait la leçon : “Vous faites un enfant, à votre âge ! Et évidemment, c’est votre mère qui doit s’en occuper !”

Autre mauvaise surprise : « J’ai perdu pas mal d’amis, se souvient, amère, Marine. Du jour au lendemain, nous n’étions plus invités nulle part. Nos copains doivent penser qu’on est vieux avant l’âge. »

Chez les papas, ados ou jeunes adultes, toutes les réactions sont possibles : de la posture responsable – avec ou sans emploi – à… la fuite. Certains reconnaissent l’enfant, sans plus : « J’étais avec mon copain depuis peu quand j’ai eu mon “heureux accident”, raconte Agathe, de Lorient. Au septième mois, face à mon ventre qui grossissait, il a craqué. Il est tout de même venu à la maternité voir sa fille. » Mais, depuis, aucun signe de vie. Heureusement, la petite Johanna a une grand-mère paternelle qui l’aime : « Le lien n’est pas rompu. » Des pères envolés reviennent petit à petit…

A mes six mois de grossesse, il s’est enfin senti prêt

« Au début, Kevin voyait déjà sa jeunesse foutue par le poids des responsabilités, confie Nina, en couple depuis l’âge de 14 ans. A mes six mois de grossesse, il s’est enfin senti prêt. Et il est revenu. Tout en élevant Leana, on finit de grandir ensemble. » Certaines mamans ados, déçues par le faible investissement du père, en arrivent à le mettre à la porte, comme Jessica, qui depuis n’a plus de nouvelles : « Quand Chloé est arrivée, mon copain a continué à sortir avec ses potes, à voir d’autres meufs… J’adore ma fille, mais si j’avais su, je ne serais jamais sortie avec son père ! »

« Quand le père de l’enfant n’est pas complètement aux abonnés absents, nous insistons sur son rôle auprès de l’enfant, souligne Magali Joannelle. Car certaines adolescentes qui ont grandi sans père n’en voient pas l’utilité pour leur bébé. » Il faut aussi convaincre les jeunes mamans de vite retourner à l’école ou de penser avenir professionnel à court terme. L’enjeu ? « Si les mères ados ne sont pas réinsérées très vite, elles font souvent… un deuxième enfant et risquent ainsi de se retrouver déscolarisées, voire totalement marginalisées. »

Maternité précoce : peut-on faire rimer biberons et leçons ?

Noémie, d’Amiens, maman à plein-temps de Lula, ne cache pas être « fâchée avec l’école » : « J’avais envie de vivre comme les grands, pas d’étudier. Seule formation qui m’aurait plu : le CAP petite enfance. On ne m’a proposé que la filière agriculture, à cause de la faiblesse de mon niveau… » Noémie a donc arrêté l’école à 16 ans, après une 3e d’insertion, mais n’a aucun regret.

D’autres, au contraire, s’accrochent, comme Agathe, en terminale sanitaire et social. « Dès le matin, c’est un timing d’enfer : réveil à 6 heures. Biberon à 7. Départ pour la crèche. A 8 heures au bahut. Le moment bizarre : quand je remplace ma “casquette” de maman par celle de lycéenne, avec mes copines qui n’ont pas le même genre de soucis que moi ! Mais ça me fait du bien, je redeviens une ado. Le soir, pendant que je donne le bain à Johanna, ma mère me fait réviser : caryotypes, transmission de gênes, de la vie… Pour moi, ce n’est pas seulement un cours théorique, c’est du vécu ! Johanna donne un nouveau sens à ma vie : depuis que je suis maman, je sais pourquoi je travaille. Tout ce que des parents doivent transmettre à leurs enfants m’intéresse. »

 Je suis allée en classe jusqu’à un mois avant l’accouchement

Nina, elle, a passé son bac STG (mention bien !) à sept mois et demi de grossesse, et a continué à allaiter Leana pendant un mois et demi, matin et soir, quand elle a repris ses cours. Elle a tenté d’abord un DUT, qu’elle a rapidement abandonné : « J’étais au bout du rouleau, épuisée… », pour enchaîner sur un BTS, comme son jeune compagnon.

Celles qui obtiennent le bac le doivent souvent à la solidarité de l’école : « Je suis allée en classe jusqu’à un mois avant l’accouchement, raconte Marine. J’avais la clé de l’ascenseur pour ne pas grimper les escaliers avec mon gros ventre. Pendant mon arrêt, les profs m’envoyaient les cours et les contrôles par mail. »

Des réussites qui sont loin de représenter la majorité des cas. En 2004, consciente que l’école est en première ligne pour éviter aux mamans ados de décrocher, Suzanne Six, assistante sociale au lycée Jean-Moulin de Roubaix, a pris les choses en main. « En 2003-2004, nous avons eu vingt et une grossesses. Six élèves ont fait une IVG, et quinze ont mené leur grossesse jusqu’au bout. » Quand elles tombaient enceintes, les filles avaient tendance à arrêter leurs études. D’où la création d’un dispositif d’accompagnement en réseau des professionnels concernés hors lycée. Le but ? Que les filles ne perdent pas de temps au détriment de leurs études et frappent aux bonnes portes, qu’elles veuillent une IVG ou aller au terme de leur grossesse.

Cette coopération entre professionnels donne des résultats inespérés. Au lycée Jean-Moulin, le nombre de maternités est tombé de vingt et un à six en moyenne. L’établissement peut négocier avec l’élève de nombreux arrangements avant et après l’accouchement. Aujourd’hui, tous les lycées du secteur ont adopté la méthode : « Le “mammouth” sait s’adapter, sourit le proviseur, Jean-Marie Trapani. L’important, c’est de garder des liens avec l’élève. »

Maternité précoce : les mères ados et leurs droits

En cas d’absence de ressources des parents, le bébé ouvre droit au RSA (788 € par mois pour une maman ado seule et 828 € en couple), à la CMU et aux aides au logement. Côté droits, on ne peut pas forcer une mineure à avorter, un père mineur peut reconnaître son enfant, même en cas de refus de ses parents, et aussi demander une recherche en paternité. Les deux parents mineurs peuvent avoir l’autorité parentale sur leur enfant, ou la mère seule si le père ne reconnaît pas l’enfant.

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